Gouvernance des données au sein de l’industrie laitière québécoise : perceptions et enjeux
Le virage numérique entrepris par le secteur laitier québécois s’est considérablement accéléré au cours des dernières années et les données générées sont de plus en plus nombreuses. Pour les producteurs, la valeur ajoutée résultant d’une exploitation experte des données peut se matérialiser entre autres en termes d’accès à l’innovation, d’amélioration de la rentabilité et d’outils d’aide à la décision. Les données représentent aussi incontestablement une ressource indispensable à la recherche et à l’innovation. Cependant, afin de bénéficier d’un maximum de retombées des données générées dans le secteur, tant pour le producteur que pour ses partenaires sectoriels, un partage de ces dernières s’impose.
Le partage de données entre acteurs en tant que solution pour optimiser leur utilisation génère cependant d’importants défis et enjeux. Sécurité du partage et du stockage des données, confidentialité et propriété des données, accaparement des données et dépendance des producteurs : autant d’enjeux qui appellent à autant de solutions. Or, les producteurs occupent une position centrale dans la génération de ces données. Par conséquent, loin de consister uniquement en un simple transfert d’information, le partage des données agricoles doit avant tout donner l’opportunité de renforcer la coopération entre les créateurs de ces données et les experts compétents pour les analyser afin de créer de la valeur ajoutée et des opportunités commerciales au sein de la chaîne agroalimentaire.
Cette étude exploratoire a pour objectif d’identifier les perceptions et enjeux actuels liés à la gouvernance des données au sein de l’industrie laitière québécoise 4.0. Afin d’atteindre cet objectif, l’étude débute avec un portrait de l’utilisation des technologies numériques dans le secteur laitier et les perceptions des producteurs face aux enjeux découlant du virage numérique sur la base d’un sondage en ligne effectué auprès de 121 producteurs laitiers québécois en mars et avril 2019. Ce portrait permet d’évaluer la situation actuelle quant au niveau d’utilisation des technologies numériques, des contraintes et bénéfices perçus par les producteurs de ces technologies et finalement leurs perceptions du virage numérique (perception générale sur le numérique, enjeux, utilisation future, etc.).
L’étude propose ensuite un portrait des flux de données provenant des différentes organisations ayant un lien avec les producteurs laitiers. Ces flux sont analysés et présentés sous forme de cartographies selon le type de données numériques. Cette analyse montre qu’au Québec, les échanges de données numériques sont une réalité déjà bien ancrée au sein de l’industrie laitière. Les nombreux flux de données qui existent actuellement entre les producteurs et les différents organismes de la filière témoignent d’un volume important d’échanges de données et d’un relativement bon fonctionnement des échanges, qu’il s’agisse d’échanges résultant d’une obligation réglementaire propre au secteur ou initiés sur une base volontaire.
Si de nombreuses interactions existent déjà entre les différents acteurs, les flux de données pourraient cependant faire l’objet d’une meilleure organisation afin d’optimiser davantage les bénéfices du partage pour l’ensemble du secteur. Dans ce contexte, il apparaît indispensable de réfléchir à des façons novatrices de partager les données et c’est pourquoi certaines initiatives mises en place ailleurs dans le monde ont été étudiées pour donner des pistes de réflexion plus concrètes. Certains pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne, la France et les États-Unis ont mis en place des plateformes d’échanges et/ou de stockage de données numériques générées sur les exploitations agricoles. La technologie est ainsi venue en aide au secteur agricole en augmentant l’efficacité des échanges. L’analyse comparée des grandes caractéristiques de ces différents modèles d’encadrement et de partage de données numériques agricoles à l’international a permis de mettre en évidence des pratiques utiles sur lesquelles s’appuyer pour réfléchir à un modèle de portail de données numériques à vocation agricole au Québec et sa mise en place opérationnelle éventuelle.
L’intérêt d’un portail d’échange et/ou de stockage de données est d’établir un guichet unique vers un large choix de jeux de données pour un grand nombre d’acteurs. Des données de différentes natures finissant parfois oubliées en silo et demandant du temps et des moyens pour être exploitées peuvent y être agrégées et valorisées, pour le bénéfice des producteurs d’abord mais aussi de la recherche et de l’ensemble du secteur. Ainsi, l’intégration des données du secteur laitier québécois sur une plateforme numérique permettrait non seulement une facilitation des transferts mais apporterait de surcroit une valeur ajoutée en permettant une meilleure utilisation des données par le croisement et l’analyse de flux de données habituellement compartimentés ou cloisonnés.
La dernière section du rapport tente ainsi d’identifier, pour chacun des grands enjeux à considérer, les options disponibles en termes de plateformes d’échanges de données en précisant pour chacune leurs particularités : vocation de la plateforme (innovation ouverte ou usage individuel) , gouvernance et structure juridique (gestion par une organisation publique, privée ou gouvernance conjointe), financement, ambition (plateforme de stockage ou plateforme d’échange), monétisation des données, propriété des données et consentement au partage.
Cette étude exploratoire conclut que pour accélérer l’innovation en agriculture et garantir la meilleure redistribution de la valeur vers les acteurs de la filière, le dispositif le plus adapté semble être de fédérer les données via une plateforme d’échange de données sous gouvernance partagée entre tous les acteurs de l’industrie. Il s’agit d’un outil d’innovation ouverte, favorisant la création de valeur, au service d’une filière de plus en plus numérique. Toutefois, l’étude recommande, avant de mettre en place une quelconque plateforme de données numériques pour la filière laitière québécoise, que soient définis clairement les objectifs poursuivis par chacun des acteurs, que chaque option répertoriée plus haut fasse l’objet d’une réflexion avancée parmi l’ensemble des parties prenantes et finalement qu’il y ait une adhésion du plus grand nombre possible d’acteurs, des équipementiers jusqu’aux producteurs en passant par les associations et centres de recherche afin d’assurer l’efficacité et la pérennité de l’outil qui pourrait être mis en place. Il s’agit de facteurs essentiels et indispensables de réussite avant de concrétiser des actions.