L’appui aux politiques économiques, les croyances et la volonté de payer : Le cas de la politique du salaire minimum au Québec
Avec l’émergence d’Internet et des médias sociaux, tous les gouvernements sont confrontés à un défi considérable quand il s’agit d’informer la population de la pertinence de leurs politiques, et ce, d’autant plus en période électorale. « Dans une ère où règnent les fakes news et un certain cynisme envers la politique, cette étude CIRANO tente justement de mieux comprendre les déterminants de l’appui aux politiques économiques. Est-ce que les croyances, la connaissance des concepts économiques, la volonté de payer peuvent affecter l’appui du public à l’égard d’une politique ? » se demande Claude Montmarquette, coauteur de l’étude, professeur émérite à l’Université de Montréal et fellow CIRANO. L’étude permet de conclure qu’informer la population sur des faits se révèle être un déterminant important dans les changements en termes d’appui et de soutien à des politiques économiques. Dans ce contexte, miser sur l’éducation générale de la population et plus particulièrement augmenter le niveau de littératie économique s’avère capital.
L’augmentation du salaire minimum au Québec est utilisée ici comme étude de cas pour illustrer la recherche. Extrêmement dense en informations et en chiffres de tout ordre, cette étude se base entre autres sur un sondage en ligne, réalisé en avril 2017 auprès de 2 255 Québécois, qui a permis de recueillir de l’information sur les connaissances économiques générales des Québécois, leurs croyances quant aux conséquences possibles d’une augmentation du salaire minimum sur les prix et l’emploi, leurs préférences sociales, leurs valeurs et également leurs capacités de raisonnement.
Les répondants ont ensuite été aléatoirement divisés en sept groupes auxquels ont été donnés différentes informations. Tous ont reçu la même information factuelle sur le salaire minimum (comme la proportion des travailleurs qui gagnent le salaire minimum, le montant absolu du salaire minimum et le montant relatif par rapport au salaire moyen). Six groupes ont reçu en plus un supplément d’information (différent d’un groupe à l’autre) sur les conséquences hypothétiques d’une augmentation du salaire minimum sur l’emploi des travailleurs rémunérés au salaire minimum et le niveau des prix. « Deux décisions sont intéressantes pour notre étude. La première est de savoir si « oui » ou « non » les répondants sont en faveur d’une augmentation du salaire minimum avant qu’on leur ait donné toutes informations factuelles et complémentaires relatives au salaire minimum. La deuxième concerne le même choix « oui » ou « non », mais après avoir reçu cette information sur le salaire minimum » explique M. Montmarquette. Nous vous livrons ici les résultats les plus marquants.
Des connaissances moyennes de la population à propos de l’économie du Québec
- La plupart des répondants ont correctement identifié le montant du taux du salaire minimum au Québec (soit 10,75 $ au moment du sondage). Toutefois, seulement 4,5 % ont su estimer la proportion des travailleurs rémunérés au salaire minimum au Québec, qui se situe entre 5 et 9,99 %. La majorité des répondants a ainsi grandement surestimé la proportion de travailleurs qui gagnent le salaire minimum.
- Les répondants avaient également tendance à croire que, dans une économie de marché, les salaires élevés sont principalement attribuables à des chefs d’entreprise responsables (seulement 34,5 % des répondants ont affirmé que les salaires élevés dépendent du rendement élevé des travailleurs – qui était la réponse exacte). Après leur avoir donné une définition du salaire de marché, seulement 12,5 % des Québécois ont répondu la bonne réponse en affirmant que le salaire minimum était plus élevé que le salaire de marché.
Des croyances différentes relatives au salaire minimum
- Les Québécois semblaient partagés sur la question de l’impact de la hausse du salaire minimum sur le marché du travail : 41 % ont affirmé que pratiquement aucune des personnes gagnant actuellement le salaire minimum ne perdrait leur emploi et 48 % ont affirmé que certaines de ces personnes perdraient leur emploi. Toutefois, 72 % d’entre eux considéraient que les prix des biens et des services allaient augmenter advenant une hausse du salaire minimum.
Une influence des préférences, des croyances et des connaissances sur l’appui à une politique d’augmentation du salaire minimum
- L’appui à une hausse du salaire minimum est conforme aux préférences et aux croyances des individus
- Il y a une corrélation positive et significative entre le fait d’être travailleur au salaire minimum (ou de faire partie d’une famille dont un des membres gagne le salaire minimum) et l’appui à une hausse du salaire minimum;
- Les répondants qui ont surestimé au départ le salaire minimum étaient plus susceptibles de favoriser son augmentation à 15 $;
- L’obtention d’un score supérieur à la médiane au test de littératie économique a un effet négatif et significatif sur l’appui à l’augmentation du salaire minimum.
Une influence de l’information factuelle en lien avec la politique
- Si l’on considère les premières questions avant d’avoir fourni de l’information factuelle au répondant, les opinions de ceux-ci concordaient avec leurs préférences, leurs croyances, leur littératie économique et leurs capacités de raisonnement. Ainsi 67,5 % des répondants étaient en faveur de l’augmentation du salaire minimum.
- Après avoir reçu de l’information factuelle sur le salaire minimum, les opinions en faveur d’une hausse du salaire minimum ont diminué dans les sept groupes passant globalement de 67,5 % d’appui à 44 %. Dans le groupe qui n’a reçu que l’information factuelle, ce sont les répondants qui avaient des croyances erronées que la plus grande diminution du soutien à la politique d’augmentation du salaire minimum a été constatée.
Une influence de l’information concernant les conséquences hypothétiques de la politique économique sur l’emploi et les prix
- Il a été constaté le plus faible écart de réduction à l’appui d’une hausse du salaire minimum (baisse de 7 points de pourcentage) dans le groupe qui n’a reçu que l’information factuelle (la proportion des appuis est passée de 71 % avant le traitement de l’information à 64 % après le traitement – baisse significative).
- Dans les six autres groupes, plus les conséquences hypothétiques d’une hausse étaient coûteuses, plus la propension à soutenir cette hausse diminuait. Le fait de fournir de l’information sur les conséquences d’une hausse du salaire minimum plutôt que de simples données factuelles a réduit l’appui des répondants de façon significative (de l’information hypothétique à propos de pertes d’emplois potentielles a fait chuter le taux d’appui de façon significative de 67 % à 39 % alors que de l’information hypothétique à propos des prix a fait baisser le pourcentage d’appui de façon significative de 67 % à 42 %).
- C’est chez les répondants ayant reçu des scénarios hypothétiques dont l’information contredisait les croyances que la plus grande diminution du soutien à la politique d’augmentation du salaire minimum a été constatée.
Une information qui peut faire varier l’opinion dans les deux sens
- L’information fournie aux participants fait varier l’opinion publique dans un sens comme dans l’autre. Autrement dit, certains des répondants qui étaient en faveur d’une hausse du salaire minimum sont devenus contre et certains répondants qui étaient contre sont devenus favorables à la hausse après leur traitement de l’information.
- Dans chacun des sept groupes, la proportion des répondants qui ont changé d’opinion pour passer du « non » au « oui » oscille autour de 10 % sauf dans le groupe 2 (groupe dans lequel le scénario hypothétique faisait état d’une perte d’emplois de 10 % chez les travailleurs payés au salaire minimum advenant une hausse du celui-ci) où cette proportion monte à 25 %. Ceci semble indiquer que les 25 % qui sont passés du « non » au « oui » considéraient que des pertes d’emplois de l’ordre de 10 % étaient acceptables.
- Le fait de croire à une perte minime ou presque nulle des emplois, contrairement à une perte importante, était associé à une probabilité plus élevée de passer d’une opinion favorable à une opinion défavorable (12,6 % comparativement à 13,2 %). Les répondants qui sont devenus favorables à l’augmentation du salaire minimum après le traitement de l’information avaient tendance à surestimer les conséquences des scénarios hypothétiques qui leur avaient été présentés.
- Nous constatons également les répondants qui étaient en faveur de l’augmentation du salaire minimum initialement et qui croyaient que les prix baisseraient ont eu fortement tendance à opter pour le « non » après avoir reçu de l’information à propos des prix.
Pour conclure, informer la population sur des faits tout comme sur des conséquences de politiques économiques s’est révélé être un déterminant important dans les changements en termes d’appui et de soutien à ces politiques. Dans le cadre d’une campagne électorale, il semble toutefois complexe d’essayer de convaincre la population du bien-fondé de ses politiques, les connaissances et les croyances des électeurs jouant un rôle majeur sur la réception des politiques proposées. Alors, qui doit informer les citoyens? Comment le faire? Les déterminants de ce qui est perçu comme une information crédible restent encore à être analysés. Il apparait toutefois primordial non seulement de développer une culture de la preuve fondée sur la science, mais également de miser sur l’éducation générale de la population ; dans le cas des politiques publiques, la littératie économique représente alors un facteur clé.